Nathalie Fontanet: « les femmes apparaissent comme un catalyseur de la finance durable »

Alors que Genève cherche à se positionner en tant que capitale mondiale de la finance durable, le canton doit aussi faire face à des nombreux défis, des inégalités historiques de genre à la crise sanitaire, économique et sociale qui secouent le monde entier en raison de la pandémie du Covid-19.

La conseillère d’Etat, à la tête du Département de Finances et des Ressources Humaines depuis 2018, Nathalie Fontanet, mène depuis longue date un combat pour plus de femmes et de diversité dans le monde de la finance et de l’économie. La ministre PLR a notamment déposé devant le Parlement un projet de loi imposant la parité des sexes dans les commissions officielles et les conseils d’administration de l’Etat.

Un meilleur équilibre homme-femmes, explique-t-elle, est bénéfique pour la performance des entreprises, et il en va de même pour le monde de la finance.

Sustainable Finance Geneva: Vous êtes magistrate en charge des finances depuis 2018 et de l’économie depuis quelques mois. Par ailleurs, vous êtes très présente dans les discussions relatives au genre, à la place des femmes dans la société, à la valorisation de la diversité sous toutes ses formes. Vous avez récemment déposé devant le Parlement un projet de loi cadre à ce sujet. Le monde de la finance et de l’économie en Suisse est très conservateur à cet égard, comment percevez-vous la situation ?

Nathalie Fontanet: L’égalité entre femmes et hommes au niveau professionnel est encore loin d’être atteinte en Suisse et à Genève. Dans le secteur privé, une femme gagne en moyenne près de 20% de moins qu’un homme. On sait aussi que les femmes demeurent largement minoritaires dans les postes de direction ou les instances dirigeantes de notre pays. Elles ne sont que 17% dans les conseils d’administration, et 9% dans les directions. Il reste donc du chemin à parcourir. Je constate néanmoins que de nombreuses entreprises s’engagent de manière concrète et déterminée en faveur de l’égalité, ce qu’il faut saluer. C’est aussi le cas dans le domaine de la finance et je m’en réjouis.

Le genre, la diversité sont des thématiques qui mobilisent, outre-atlantique, les acteurs de la finance et de l’économie. Comment faire pour réveiller les acteurs nationaux en Suisse ? Quelles sont vos propositions à ce sujet ?

Je pense que nous devons encourager et accélérer le mouvement vers plus d’égalité et de diversité. Ces enjeux gagnent petit à petit en importance, et je suis convaincue qu’ils finiront par être pleinement intégrés, mais un coup de pouce ne peut pas faire de mal. C’est dans cet esprit que j’ai, par exemple, proposé au Conseil d’Etat des mesures pour atteindre la parité homme-femme au sein des commissions officielles et des conseils d’administration qui se trouvent sous la compétence de notre gouvernement. La formation est également un levier très puissant. Le Conseil d’Etat a lancé un plan d’action cantonal pour promouvoir une représentation équilibrée des sexes dans les filières MINT (mathématiques, informatique, sciences naturelles et technique). Il est dans notre intérêt à toutes et tous d’avoir une représentation équilibrée des sexes dans ces domaines, sans quoi la société numérique de demain sera basée sur un modèle masculin.

Pensez-vous que la crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons accélèrera la transition des capitaux vers des véhicules « finance durable » ou que nous reviendrons à une situation « business as usual » ? Qu’attendez-vous des acteurs du monde de la finance ?

Tous les indicateurs montrent que la finance se transforme de manière rapide et que la durabilité devient un élément essentiel dans les offres des institutions financières. Je ne crois pas à un retour au monde d’avant, car la prise en compte des questions environnementales, de gouvernance et d’impact social (ESG) s’affirme comme un facteur de compétitivité incontournable pour l’économie dans son ensemble. Pour la place financière suisse et pour Genève en particulier, il s’agit là avant tout d’une formidable opportunité, car l’écosystème de la finance durable y est déjà extrêmement mature. Le fait que nous soyons confrontés à une crise climatique sans précédent impose de repenser les modèles d’affaires et les infrastructures. C’est certes un défi mais aussi une occasion de générer de la valeur. Les acteurs de la place financière genevoise disposent de tous les atouts pour bien faire, et ce d’autant que c’est un secteur qui a été jusqu’ici plutôt épargné par la crise.

Les femmes ont-elles un rôle à jouer dans le développement de la finance durable?

Evidemment. En tant qu’investisseuses d’abord, les femmes ont des attentes importantes en matière de durabilité. Elles sont attachées aux critères ESG et le font savoir. En retour, les établissements financiers prennent en compte la demande croissante des femmes pour des produits durables. Il s’agit donc d’un cercle vertueux. Je ne dis pas que seules les femmes y sont sensibles, mais elles apparaissent néanmoins comme un catalyseur de cette tendance de fond. Un autre point mérite à mon sens d’être relevé. Il est aujourd’hui avéré qu’une représentation équilibrée entre femmes et hommes dans les sphères décisionnelles est source d’une meilleure performance des entreprises, quel que soit le domaine d’activité. La finance a donc tout à gagner en ouvrant davantage ses rangs de direction à des talents féminins.

Cette année aura lieu la deuxième édition de Building Bridges. Vous représentez le Canton de Genève parmi les membres fondateurs de l’initiative. Qu’attendez-vous d’une telle manifestation ? Quel peut être le rôle du Canton et de ses représentant.e.s politiques ?

La première édition de Building Bridges, qui a réuni plus de 1’000 leaders de la finance et de la gouvernance multilatérale, a été un franc succès. Il a permis de renforcer la notoriété de Genève, en Suisse comme à l’étranger, en tant que centre névralgique de la finance durable. Il s’agit désormais de continuer à construire sur cette base en étant encore plus concret sur les solutions innovantes et la mise en commun des forces qui composent notre écosystème. Des coopérations renouvelées avec la recherche académique, mais aussi avec le monde de la fintech verte et les régulateurs, peuvent nous ouvrir des perspectives génératrices de valeur sociétale et économique. C’est ce à quoi nous travaillons activement en ce moment au sein de la coalition organisatrice de Building Bridges 2021.

Nous sommes en 2030 : à quoi ressemble la place financière genevoise ? Au service de quel type d’économie ? En somme, quelle est votre ambition pour Genève s’agissant de finance et de finance durable plus précisément ?

La finance a un rôle capital à jouer, aussi bien pour accélérer l’indispensable mouvement de décarbonisation de l’économie, que pour accompagner la montée en puissance de nouveaux modèles économiques plus respectueux de l’environnement. Notre canton doit se positionner comme l’une des capitales mondiales du financement et de la mise en œuvre des objectifs de développement durable. En 2030, la finance sera également marquée par l’empreinte du digital. Les solutions en matière de tokenisation ou encore l’utilisation de la technologie blockchain seront certainement largement répandues d’ici là. Dans ce contexte, le travail effectué autour de l’arc lémanique par rapport à la confiance numérique et la cybersécurité est d’une très grande importance. Il complète idéalement le positionnement de Genève sur le front de la finance durable et d’impact.

 

Bio

Née le 8 janvier 1965, Nathalie Fontanet a grandi à Genève. Elle s’y consacre à l’éducation de ses trois filles, puis obtient son brevet d’avocat en 2005. Elle travaille en tant que directrice adjointe au service juridique d’une banque suisse de 2006 à 2018. Élue conseillère municipale en Ville de Genève en 2003 pour l’ancien Parti Libéral, elle y siège jusqu’en 2009, notamment dans les commissions de la sécurité,  de l’aménagement et des finances. En 2007, elle entre au Grand Conseil en cours de législature. Elle est réélue en 2009, puis en 2013. Elle a également été cheffe du groupe PLR de septembre 2015 à 2017.

Nathalie Fontanet s’est engagée en faveur de la complémentarité des modes de gardes (crèches et maman de jour) et pour que le canton applique le droit fédéral en matière de libre choix de l’hôpital. Elle s’est également battue pour l’amélioration de la sécurité dans le canton.

En 2018, elle est élue au Conseil d’Etat et prend la tête du département des finances et des ressources humaines.

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